«Ce projet était le mien depuis plus de 15 ans. Mais, par pudeur, Farid Belkahia n’a jamais osé le réaliser de son vivant. Il était entendu entre nous que si je ne partais pas la première, je le réaliserais», nous confie Rajae Benchemsi. Et elle a tenu sa promesse, relevé le défi d’«un acte culturel courageux destiné à la sauvegarde d’un patrimoine culturel» inestimable et «au rayonnement de l’œuvre» d’un grand précurseur qui a porté l’art marocain contemporain à travers le monde. Un travail d’équipe, tient à souligner cette grande écrivaine dont la plume inimitable a marqué de son sceau les plus prestigieuses pages la littérature marocaine. Une équipe composée, hormis sa présidente, de Jean-Hubert Martin, historien d’art et figure majeure de l’art contemporain qu’il a défendu en tant que directeur, entre autres, du prestigieux Musée national d’art moderne de la Ville de Paris et du Museum Kunst Palast de Düsseldorf, ainsi qu’en tant que commissaire de nombreuses expositions; de Brahim Alaoui, Historien d’art et commissaire d’expositions; de Vincent Melilli, directeur de l’ESAV à Marrakech; de Hamid Triki, historien, chercheur et grand défenseur du patrimoine marocain; d’Abderrazak Ben Chaabane, ethnobotaniste et paysagiste de renom; et Alexandre Kazerouni, politologue spécialiste du monde arabe et de l’Iran contemporains.
Les membres de la Fondation Farid Belkahia se réuniront donc, 28 mars, à 10h, au restaurant Dar Moha de Marrakech, pour présenter ce grandiose projet qui verra le jour le vendredi 13 novembre 2015. Une date symbolique sciemment choisie par Rajae Benchemsi, Farid Belkahia étant né le 15 novembre de l’année 1934. Une manière de fêter la vie de celui qui, dit-elle, «est toujours parmi nous, présent.»
Bourses et Prix d’excellence
La Fondation Farid Belkahia mettra un point d’honneur à encourager tout acte de création. Arts plastiques, littérature, artisanat… Un prix d’excellence sera ainsi attribué annuellement et des bourses de deux à cinq ans seront octroyées pour permettre à des créateurs de poursuivre leurs études, leurs recherches ou leurs travaux.
A propos d’arts traditionnels, Rajae Benchemsi rappelle l’admiration qu’avait pour eux Farid Belkahia qui les a introduits dans les études académiques.
La Fondation organisera, de même, une exposition annuelle nationale et internationale.
«La tradition est le futur de l’homme»
«La tradition est le futur de l’homme», aimait à dire Farid Belkahia. Et cette phrase, écrite en arabe sur sa tombe, aura été son épitaphe. Quel plus grand hommage à ce grand artiste que celui de ce travail de mémoire qui prépare les temps?
Farid Belkahia a commencé à peindre à l’âge de 15 ans à peine, et a exposé très tôt, dès 1953, année où ses œuvres ont été présentées pour la première fois, dans sa ville natale. Il se rendra ensuite à Paris, de 1954 à 1959, pour poursuivre ses études à l’école des Beaux-Arts de Paris. De retour au Maroc en 1962, l’artiste dirigera, jusqu’en 1974, l’école des Beaux-Arts de Casablanca, avant de se consacrer pleinement à son art. Et cet artiste au talent et à l’originalité incomparables se distinguera très vite par sa griffe unique. Travaillant le cuivre, la peau, le bois, privilégiant les pigments naturels sur des toiles où symboles berbères se mêlent à d’autres signes graphiques universels, Farid Belkahia insuffle à l’art une âme furieusement neuve et rebelle, réinventant sans cesse le langage où il semble mettre en scène sa propre peau, la mémoire, les parfums d’humus, les tatous de henné qui y sont restés gravés, indélébiles. Furieusement rebelle, furieusement intègre. Tel était Farid Belkahia qui militait déjà, en 1966, avec la Revue Souffles, pour un art nouveau dédouané de l’héritage colonial et organisera en 1969, avec d’autres artistes de sa génération, sur la place Jamaâ El Fna, une grande exposition ou, plutôt, contre-exposition, visant à contrecarrer l’exposition de Printemps qui se déroulait au même moment dans la ville rouge. Un grand défenseur de l’art. Un grand artiste qui marquera l’histoire à jamais tant il a interpellé et émerveillé, par-delà les frontières. Farid Belkahia restera éternel. Et cette fondation perpétuera l’esprit de son art et de l’art tout court, tel qu’il nous l’a légué en partage, en offrande.